A Noël

Il arrive un moment où le relai vient à passer

Publié le 16 avril 2021
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C’est ici
que commence
la fin
de la vie
de mon grand-père.
Dans le bleu
mouillé
de ses yeux à lui,
au-dessus du bleu
hôpital
de son masque hôpital à eux.

Ici c’est Noël.
C’est ici que commence
à mes yeux à moi
la fin de la vie de mon grand-père.

Ici c’est chez lui.
Un grand salon gorgé de nuages et de silences,
un grand salon qui ne rayonne plus l’aura de ma grand-mère mais
le bruit
mat
des piles d’assiettes à dessert / à fleurs / à soupe / petites assiettes / assiettes creuses / assiettes en porcelaine / des dizaines d’assiettes
sur la moquette.

Ici
dans le grand salon
le bruit mat
du silence
du fatalisme
et de l’absence.

Ils sont posés là les souvenirs,
sur la moquette écrue du salon,
celle qui étouffe les émotions
Noël après Noël,
retrouvailles familiales après retrouvailles familiales.

Ici c’est Noël
encore une fois
mais
ici
aujourd’hui
pas de lumière,
rien à boire,
pas de sapin,
rien à manger,
pas de cadeaux,
rien à se projeter,
pas de déco,
pas de sourires ils sont planqués derrière les masques.
Ou pas.

Ici on ne dit pas
ce qui se cache à l’intérieur
ici on pragmatise, on
il faut partir avec quelque chose d’ici, on
« Quoi ?! Tu n’es pas venue en voiture ?! Mais comment tu vas faire le plein d’assiettes / plats pour le four / tapis de bain / cocottes en fonte ? », on
fait bonne figure parce que les histoires qu’on traverse, les déboires qui nous traversent ils
n’ont
rien à faire
ici
entre le bow-window et le jardin à l’anglaise
ça fait tâche.
Sur la moquette écrue on
ne pose que
des chaussons
écrus.

Ici
aujourd’hui
c’est peut-être
la dernière fois que.

Ici
aujourd’hui
la famille
s’est épaissie il y a
5 petits corps qui courent ou qui rampent,
13 paires de longues jambes position stationnaire,
1 paire de jambes qui ne tiennent plus sur leurs jambes.
La moquette écrue reçoit aujourd’hui
la gerbe blanc-orangé du dernier né,
comme une dernière offrande ou
un dernier cri, mon fils en gerbant vient raconter qui je suis.

Ici
aujourd’hui
la famille
s’est délitée
il manque
7 paires d’autres jambes,
des jambes entre deux âges,
ma mère a déserté,
mon père a oublié,
ma grand-mère a été exilée

Ici
aujourd’hui
au milieu
je l’ai dit
il y a
1 paire de jambes bout du rouleau
pleines de bulles
de sang
qui pètent
ça saigne
faut panser
c’est caché sous le pantalon
c’est à bout
c’est assis
c’est grand-père.

Au milieu des debout là sur la moquette écrue, au milieu assis là sur un fauteuil posé là à l’arrache pour l’occasion, au milieu du grand salon où normalement à l’arrache ça n’existe pas, au milieu sur le fauteuil, le corps usé de mon grand-père usé, son corps s’endort sa tête pique du nez, et une main jeune s’empresse de se poser sur sa main ridée tâchée brunie violacée terrain de cross,
ici
aujourd’hui
on n’a pas le droit de
se toucher
ici
on ne dit pas ce qui nous traverse mais
ici
maintenant

il s’agit pour la main jeune de s’assurer que c’est bien de sommeil dont il est question
sur la main vieille.
Les masques ne voient pas
les masquent ne sourient pas
ici
de toutes façons
on ne dit pas
mais les regards
trahissent.

D’ici
on repartira
c’est peut-être la dernière fois
avec un peu d’assiettes
cocotte en fonte
masque
tapis de bain
souvenirs
jouets d’enfants
une autre gerbe blanc-orangé.

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